Monsieur le Président de la République.
Elu de Saint-Denis, je m’adresse à vous aujourd’hui pour dénoncer la mort d’un jeune français de 26 ans, Lassana Sylla, dans une prison française.
Incarcéré depuis 1 an et demi, Lassana se serait suicidé à Fleury Mérogis, ce dont doutent sa famille, ses amis. Tous ceux qui l’ont côtoyé jusqu’à ses derniers jours ne peuvent le croire et le contestent.
Il n’est pas normal de mourir en prison à 26 ans. Encore moins de se suicider dans une cellule disciplinaire particulièrement surveillée comme le « mitard ».
Il n’est pas non plus concevable que la presse relaye la thèse du suicide quand une enquête est toujours en cours.
Je tiens également à porter à votre connaissance l’irrespect total dont auraient fait montre les autorités dans l’annonce à la famille du décès de Lassana.
C’est pourquoi, Monsieur le Président de la République, je prends la liberté de cette lettre ouverte pour vous demander de mettre votre haute autorité au service de la vérité afin de connaître les causes exactes de la mort de ce jeune habitant de Saint-Denis, tout comme je souhaiterais être éclairé sur l’attitude des autorités envers la famille éprouvée.
C’est ce qu’attendent les proches et les amis de Lassana et qui serait de nature à ne pas alourdir un climat déjà difficile et tendu.
Mais je voulais aussi vous faire part de mon sentiment face à ce drame qui, hélas, n’est pas isolé et vient s’ajouter à une liste déjà trop longue. On meurt beaucoup dans nos prisons françaises et ce mal empire de mois en mois.
C’est, pour moi, insupportable car cela révèle au fond un état de notre société des plus alarmants.
Depuis plusieurs années, s’appuyant sur un sentiment bien réel d’insécurité chez nos concitoyens, nos institutions ont opté pour une accentuation de la répression, pensant répondre ainsi à l’attente de l’opinion publique et retrouver une société paisible.
Sentiment pour sentiment, nous n’avons pas l’impression que nos concitoyens se sentent aujourd’hui bien plus en sécurité et les chiffres, même regardés dans tous les sens, indiquent certes des infléchissements, dans un sens ou dans l’autre, mais ne montrent pas que nous sommes en passe de gagner la bataille de l’insécurité.
Entre temps, pourtant, des lois de plus en plus répressives ont été adoptées en couches successives, des peines plancher, très lourdes, ont été décidées et sont appliquées, les forces de police, y compris en proximité, ont été renforcées. Ce laxisme, tant décrié, pour autant qu’il ait jamais existé, n’est plus de mise. La répression s’est renforcée mais reste vaine à garantir la sécurité. La tentation est grande, alors, de pallier à cette impuissance par une aggravation renforcée de la répression, au risque toujours présent de porter atteinte aux libertés publiques.
Je vous le dis avec respect, Monsieur le Président, nous sommes dans une impasse et un drame comme celui que je dénonce, aujourd’hui, en est un indice supplémentaire.
On meurt dans nos prisons car la violence y règne dans la surpopulation et rien n’est fait pour amender et reconstruire ceux qui ont dérapé.
Nos cités, malgré les efforts des élus de terrain, restent dans une situation précaire et difficile, dans l’attente, toujours insatisfaite, du grand plan « Marshall » pour les banlieues qui n’a pas dépassé le stade de l’annonce.
Les jeunes désespèrent de trouver un emploi et un avenir et sont en butte à une stigmatisation générale de la jeunesse.
Que dire de l’étude récente qui confirme ce que l’on savait, hélas, depuis longtemps : certains sont beaucoup plus contrôlés que d’autres, ce qui ne peut être sans influence et conséquences sur la vie ensemble.
Loin de s’apaiser notre société est de plus en plus violente, les relations se durcissent dans la rue comme au travail. La violence appelle la violence, il faut briser cet engrenage.
Je pense que c’est se tromper et tromper la société que de lui laisser croire que quand elle se venge, elle va mieux, qu’il n’y a pas d’autres solutions.
Nos prisons sont pleines, qui peut s’en satisfaire et vit-on mieux dans notre pays?
Nous gagnerions beaucoup à ouvrir un grand débat national sur les problèmes de sécurité et la vie en société en faisant appel à l’intelligence collective plus qu’aux bas instincts et aux ressentiments. En cherchant ensemble des solutions nouvelles aux problèmes ô combien difficiles de la vie collective.
Avec lucidité, je crois en l’homme et en ses capacités de se surpasser. Je reste en alerte et en action pour que notre pays continue à mériter et honorer son titre de « patrie des droits de l’Homme ».
C’est la sollicitation et l’appel que je vous adresse, Monsieur le Président, en hommage à ce jeune français de Saint-Denis, mort dans les prisons de la République.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, en l’expression de ma très haute considération.
Bally BAGAYOKO